Migrants

TÉMOIGNAGE 2 : Au Soudan, Adam a connu la guerre et la peur. Après un terrible périple semé d’embûches et de drames, il vit depuis 4 mois sous les quais de la gare d’Austerlitz en attendant la réponse de sa demande d’asile.


En 2003, le village d’Adam est attaqué, pillé et brûlé. Sous ses yeux, ses proches et la plupart des villageois sont torturés et tués : « Je devais me cacher, toujours me cacher, je restais à même le sol, je me faisais passer pour mort». A la suite de ce massacre, Adam décide de fuir en Libye. Il a tout juste 19 ans. Il connaît la procédure, les gens qui ont quitté son village rappellent ensuite leurs familles pour leur expliquer où aller, comment faire. Adam prend la route avec un compagnon de voyage : Ils doivent se rendre sur la place de la ville la plus proche pour rejoindre des chauffeurs chargés de les faire passer en Libye. Les voitures ne se réservent pas à l’avance, les candidats au départ viennent et attendent que les conducteurs les choisissent. «Dès le début, nous connaissions les risques encourus, certains étaient de faux chauffeurs qui tuaient les passagers pour prendre leur argent.» Heureusement, ce ne fut pas son cas mais le voyage ne se passe pas non plus comme prévu : la voiture tombe en panne et ils finiront le chemin à pied. Trois longs jours de marche ! En Libye où il reste plusieurs années, Adam qui pensait trouver une vie meilleure va de désillusions en désillusions. S’il a pu fréquenter l’école et apprendre le métier de coiffeur, il se rend vite compte que dans ce pays dévasté par la guerre, il ne pourra pas construire l’avenir auquel il aspire. Adam commence à se renseigner auprès des ses anciens amis. Il décide d’apprendre le français, met de l’argent de côté pour pouvoir partir. Il est persuadé qu’en France il pourra, enfin, vivre libre et heureux. Malheureusement le chemin à parcourir pour rejoindre l’hexagone va se montrer long et périlleux. Au prix de mille sacrifices il économise la somme nécessaire, rejoint la côte libyenne pour aller à la rencontre des passeurs. Ceux-là il ne faut pas les chercher longtemps : « Ils le savent quand un Noir vient devant les palaces c’est qu’il veut rejoindre l’Europe ! » A Tripoli, toujours accompagné de son ami, Adam verse de l’argent pour être conduit dans une maison. Parqués sur la terrasse avec mille autres personnes, ils attendent le jour du départ. Le regard tourné vers la mer, le jeune homme se raccroche à l’espoir de rallier un pays en paix, cela lui permet de tenir : « Il nous interdisaient de parler, le simple fait de demander à manger ou de réclamer une cigarette pouvait nous condamner à mort. » Ils sont souvent frappés, des hommes sont torturés, tués même sous ses yeux. Impossible de reculer, il ne peut plus quitter la maison, tous sont comme prisonniers. La seule chose à faire c’est attendre sous le joug de «ces hommes très méchants et cruels ». Adam attendra ainsi cent jours avant de finalement embarquer. « Certains prenaient la mer sur de gros bateaux nous nous étions vingt-huit sur une barque pouvant accueillir six personnes ! » La traversée dure six jours. Au bout de trois jours il n’y a plus de vivres. «Pour survivre on se soutenait tous, même celui qui tenait la barre, on se racontait nos histoires ça nous aidait. Quand nous sommes arrivés en Italie, les passeurs ont quitté le bateau, nous abandonnant seuls sur les quais. » Prix du cauchemar : 2000 dollars par tête. Avec son ami, Adam s’estime heureux d’y avoir survécu. Une fois débarqués en Sicile, les deux hommes se renseignent pour savoir comment rejoindre Milan. Comme ils n’ont presque plus d’argent, ils vont marcher pendant des jours pour gagner la capitale de Lombardie. Ce nouveau but atteint, ils se dirigent vers la gare. Comme en Libye des passeurs les y abordent directement. Ils leur vendent des billets de train : « J’ai payé le mien 150 euros, mon ami, 200 euros. Nous n’allions pas au même endroit. ». Une fois installés dans le train, parmi tous les autres passagers, Adam est rassuré, pour la première fois : «Jusqu’ici ma seule vraie peur c’était d’être renvoyé au Soudan mais je me suis dit que maintenant j’étais en Europe ! » Arrivé en France, Adam sait exactement où il doit aller, ses contacts italiens lui ont indiqué le camp en face de la gare d’Austerlitz. Là se regroupent des migrants venus du Soudan, d’Erythrée ou du Tchad, des pays qui ont tous connu la guerre. Il décide de rester à Paris, son compagnon de misère, lui poursuit sa route, c’est la séparation, mais Adam se lie à d’autres compatriotes. «Entre Soudanais, on se soutient. On m’a guidé dès mon arrivée, on m’a montré le chemin pour la douche et les toilettes publiques.»


Le 17 juin, Adam recevra en principe une réponse à sa demande d’asile. Mais pour le moment il attend. Il a l’habitude. «Le problème à force d’attendre, dit-il, c’est que l’on ne sait même plus ce que l’on attend.» Alors, Adam imagine pendant des heures son avenir en France : S’il arrive à obtenir sa carte de séjour, il reprendrait volontiers des études pour perfectionner son français et obtenir un diplôme de coiffeur valable ici.« dès que j’aurais une chambre je m’achèterais un piano (…) la journée je serais coiffeur et le soir je raconterais en chansons mon périple pour témoigner !

P. Chollet, « Adam. Du Soudan à la Gare d’Austerlitz », Paris Match, le 10 juin 2015

Des photos et des compléments sur https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Adam-Du-Soudan-a-la-Gare-d-Austerlitz-780190


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Irène AUBREE

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